Bernard Dorival
Ancien conservateur du Musée National d'Art Moderne
[...] il a créé des oeuvres qui, transcendant ces catégories éphémères - abstraction, figuration-, sont essentiellement des oeuvres poétiques, [...] ce qui lui permet de recouvrir sous un voile de limpidité lumineuse, les appréhensions qu'il a du mystère du monde et qu'il exprime librement, hors des clichés de toutes les chapelles, sur un registre qui est "au-dessus".
[...] Participant de l’existence du cosmos comme des misères de nos vies, il nous a livré tout son être et d’une façon d’autant plus convaincante qu’il l’a fait avec pudeur, à demi-mots;
[...] Rien, dans son art, ne s’impose. Tout propose et le non-dit y joue un rôle plus important que ce qu’il y dit. Libre, il laisse à ses spectateurs leur liberté, ce qui est les respecter [...]
[...] Magie, c’est peut-être là le mot qui rend le mieux compte de son art, une magie qui est le fruit d’une âme de qualité, d’une âme bien née, d’une âme de seigneur. Ainsi prend-il place à côté de tous ces seigneurs, trop nombreux, dont la trop courte existence a, depuis plusieurs siècles, jalonnée l’histoire de la peinture française. [...]
Extraits du catalogue édité par le Musée de Brou (1997)
Textes de Olivier Debré, Bernard Dorival, Itzhak Goldberg, Jean-Jacques Lerrant et Marie-Françoise Poiret.
Marie-France Poiret
Conservateur du Musée de Brou
[...] Parcours artistique d'un homme très jeune, né en 1968, qui commence à peindre dès l'age de seize ans, encouragé par des aînés au regard perspicace - Bernard Dorival, Olivier Debré - à suivre son chemin, son propre chemin loin des enseignements officiels. Laurent Royer entame alors un parcours de peintre autodidacte, libre, à la recherche de la lumière. Un parcours de poète aussi, comme en témoignent les titres de plusieurs de ses oeuvres, de courts poèmes dont tel ou tel, comme celui d'un papier népalais de 1990, n'est pas sans évoquer les trois vers d'un "haïku" japonais :
" Troncs aiguisés dans l'azur
Appréhender l'ouverture
La limpide clarté de l'aurore naissante "
[...] Ces feuilles de papier, Laurent Royer en sonde les ressources et les possibles. Elles sont tour à tour mouillées, froissées, pliées, plissées, sculptées, teintées, peintes. L'expérimentation dans le domaine pictural se double ainsi d'une approche du monde du volume. Les peintures sur papier de Laurent Royer sont en effet quasiment toutes aussi des reliefs [...] Puis vient le jeu de la couleur, en une impregnation plus ou moins régulière de pigments tantôt bleus, tantôt ocre rouge, "sang de boeuf", qui ménagent parfois des fenêtres de lumière, au gré de ce qu'a suggéré le papier.
Un jeu souvent accompagné de celui du graphisme, de tracés tour à tour subtils, tremblés, appuyés, pleins, ou le noir de l'encre de Chine est magnifié par le fond coloré qui le reçoit.
[...] Cette magistrale série des Faces du monde semble être sortie toute armée du néant. Construites de sables et de pigments maçonnés, raclés, incisés sur un lourd support de bois, elles se signalent par une remarquable économie de moyens : peu de couleurs, uniquement des terres - la gamme des ocres du rouge au brun, du jaune au beige - un noir intense et un étonnant bleu outremer tirant sur le noir, un bleu des profondeurs. Les incisions dans la pâte épaisse pratiquées jusqu'à la couche de préparation révèlent ici et là des éclairs blancs. Sensualité de la matière grumeleuse et douce, chaleur des ocres, profondeur veloutée des noirs, lumière obscure des bleus, tout contribue à l'harmonie, à la force, à la simplcité.
[...] Un an après, le parcours de Laurent Royer débouche sur des paysages aériens dans leur simplicité et leur dépouillement. La technique du sable coloré collé sur bois mise au point avec les Faces du monde y est utiliée. Là encore, Laurent Royer crée un univers étrange dans sa simplicité, hors du temps, hors des lieux balisés. Il crée aussi, dans ces quelques panneaux, une large ouverture sur la lumière et la sérénité.
Extraits du catalogue édité par le Musée de Brou (1997)
Textes de Olivier Debré, Bernard Dorival, Itzhak Goldberg, Jean-Jacques Lerrant et Marie-Françoise Poiret.
Itzhak Goldberg
[...] Le constat de Georges Didi-Huberman, "voir ne s'éprouve ultimement que dans l'expérience du toucher", peut se vérifier avec les travaux de Laurent Royer. L'importance du toucher chez lui, l'omniprésence de matériaux inhabituels, exigent la présence physique du spectateur, condition indispensable pour découvrir non seulement l'impact visible de ces toiles mais aussi entrer en contact avec leur "épiderme".
[...] L'importance croissante de la troisième dimension, le passage de la peinture à ce que Laurent Royer appelle "tableaux-reliefs" se fait de façon graduelle. Cet itinéraire "matiériste" s'accompagne d'un renoncement par le peintre à toute référence explicite de la réalité.
[...] Le terme figure, synonyme de visage, peut avec cette série être compris aussi dans un deuxième sens, celui de la forme. La polyvalence linguistique reflète l'ambiguité visuelle de ces "Faces", mi-visages inorganiques, mi-configurations géométriques. Ces triangles renversés, tronqués, coupés brutalement par le bord inférieur du cadre, sont "verrouillés" par des contours profonds taillés dans la matière.
[...] Les Faces du monde de Laurent Royer, ces "bas-reliefs" moulés dans le corps de la matière picturale, ne renoncent pas aux effets tactiles, au sentiment de l'inachèvement,à l'irrégularité même dans une architecture la plus géométrique, à l'hésitation même du trait le plus décisif. La figure se construit à l'instant même où elle se déconstruit.
Extraits du catalogue édité par le Musée de Brou (1997)
Textes de Olivier Debré, Bernard Dorival, Itzhak Goldberg, Jean-Jacques Lerrant et Marie-Françoise Poiret.
Olivier Debré
Son œuvre sur papier et sur bois, sobre et émouvante, spontanée et construite, justifie largement l'hommage qu'on lui consacre aujourd'hui. Par le raffinement des couleurs et la vivacité de son geste, Laurent Royer se classe incontestablement parmi les meilleurs peintres de sa génération.
Extraits du catalogue édité par le Musée de Brou (1997)
Textes de Olivier Debré, Bernard Dorival, Itzhak Goldberg, Jean-Jacques Lerrant et Marie-Françoise Poiret.
Pasquale Gagliardi
[...] J'ai toujours été fasciné - comme beaucoup - moins par l'oeuvre d'art elle-même que par le processus créateur qui la produit [...]. Je crois que Laurent Royer "pensait" longuement son tableau avant de le peindre, qu'il s'efforçait de scruter par avance et d'une façon intellectuelle les problèmes "constructifs" qu'il devait affronter pour le réaliser. Mais son oeuvre est l'histoire d'une lutte parfois furieuse, d'un rapport physique intense - visuel mais aussi tactile - avec les matériaux, visant à découvrir, chemin faisant, la vraie nature de son sentiment et les traits souhaités du tableau naissant.
[...] L'action esthétique semble irrésistiblement modelée par l'impulsion et le refus des limites de la matière, mais elle revient à la matière, quelquefois avec humilité et circonspection, d'autres fois avec violence, et lui découvre des propriétés nouvelles qui se révèlent véhicule de différentes émotions. Se crée ainsi un renvoi continuel entre l'impulsion et le résultat esthétique, dans une sorte d'oscillation où ils deviennent l'écho l'un de l'autre, tandis que l'ampleur de l'oscillation (comme l'éloignement de l'écho) se réduit, s'accroît et se réduit à nouveau, jusqu'à ce que - comme par enchantement - l'impulsion trouve, parmi les infinies formes possibles, la forme désirée.
[...] L'émotion esthétique de celui qui observe ces créations est intimement liée à l'intuition poignante du processus créateur dont elles sont le témoignage.
Extraits du catalogue "Hommage à Laurent Royer" réalisé par Acte Sud lors de l'exposition à la Chapelle Saint Michel, Avignon (1996)
Textes de Marie-Paule Barbut, Maurice Cocagnac, Gérard Engelbach, Pasquale Gagliardi
Denys Condé
Il faut voir et revoir ces œuvres calmes et fulgurantes. Série impressionnante par son silence, sa profondeur et sa force. Tout porte la marque d'une jeune maîtrise et d'une précoce maturité ; et c'est bien la marque du vrai créateur – artiste ou poète – que d'être mûr au plus jeune âge.
Extrait du catalogue "Hommage à Laurent Royer", AMAC, Chamalières (2004)
Marie-Josée Mondzain
Cette oeuvre radicale a pleinement trouvé le temps de s’accomplir et de parcourir son chemin singulier sans nous laisser dans le sentiment de l’inachèvement. Il y a au contraire une sorte de cycle parfaitement inscrit, dans un temps non linéaire qui ignore la mort.
Laurent Royer a traversé les bleus du ciel, les braises et les cendres de la terre pour aller à la rencontre de l’homme comme à son terme. Son aventure plastique atteint la complétude avec une stupéfiante maturité. Quand le visage sort de l’ombre, il a déjà été longuement préparé dans les plissements hasardeux de la terre et du ciel ; le seuil de son apparition se compose dans l’embrasure solide de l’azur et des briques qui sera désormais sa demeure, le lieu de sa naissance.
Il y a tant de force et de joie dans la combative rigueur de ce travail que je ne peux que témoigner de l’espoir que j’y puise ce monde qui ne l’a pas englouti, ne nous engloutira jamais.
Extraits du catalogue "Laurent Royer" édité par la Mairie du
VIème arrondissement de Paris (2000)
Textes de Marie-Josée Mondzain